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(SOP 231 Service Orthodoxe de Presse sep-oct 98)
Le patriarche de Moscou ALEXIS Il, primat de l'Église orthodoxe russe, a réagi, à titre personnel, à l'autodafé de livres théologiques survenu à Ekaterinbourg en mai dernier, en adressant une longue réponse aux auteurs des différentes lettres qui lui avaient été adressées à ce sujet en juin dernier.
Dans une lettre envoyée au métropolite THEODOSE, primat de l'Église orthodoxe en Amérique, et dont le contenu a été publié par le supplément religieux du quotidien moscovite Nezavissimaïa Gazeta (édition datée du 15 juillet), le patriarche se déclare 'attristé par l'inquiétude"' apparue à la suite d'un événement auquel il a été accordé, selon lui, une trop grande importance, et il fournit une nouvelle version des faits, en révélant que seules des 'revues"' sans rapport avec les programmes d'enseignement théologique auraient été brûlées. Une réponse d'un contenu identique a été adressée à Nikita STRUVE, professeur à l'université de Paris X - Nanterre et directeur de la revue Vestnik RKhD. Par ailleurs, toujours selon Nezavissimaïa Gazeta, le père Oleg VOKHMIANINE, prêtre à Ekaterinbourg, qui avait été suspendu a divinis en raison de son refus de ne pas lire et citer dans ses sermons les auteurs en question, a été rétabli dans son ministère sur décision de l'évêque NIKON en date du 26 juin. De même source on affirme que la décision aurait été prise après une intervention du patriarche.
Dans sa lettre, datée du 3 juillet, le patriarche affirme en préambule "ne pas être d'accord" avec le 'jugement trop sévère porté sur un événement de niveau local auquel l'opinion publique a donné une valeur symbolique excessive". 'Les généralisations que vous faites, poursuit-il, sont hâtives et excessivement brutales à l'égard d'une personne concrète", à savoir l'évêque NIKON d'Ekaterinbourg. Le patriarche souligne encore qu'en réponse aux explications qui lui ont été demandées par le saint-synode, l'évêque NIKON a indiqué que les "ouvrages" brûlés en mai dernier dans la cour du collège ecclésiastique d'Ekaterinbourg n'étaient que des 'revues" qui "n'avaient rien à voir avec les programmes d'enseignement de l'école" et que leur destruction n'avait pas eu le moindre 'caractère démonstratif". Toujours aux dires de l'évêque NIKON, il n'y avait parmi ces ouvrages aucun livre des pères SCHMEMANN et MEYENDORFF, 'ni d'aucun autre théologien". Le patriarche précise que le saint-synode a nonobstant 'attiré l'attention" de l'évêque NiKON sur le fait que brûler même des revues était une solution 'inadéquate et inacceptable" compte tenu des normes actuelles de la culture et de l'éthique".
Concernant la personnalité et l'uvre des théologiens en question, ALEXIS Il insiste sur le fait que lui personnellement appartient à 'une génération de clercs de l'Église orthodoxe russe qui garde avec gratitude et respect la mémoire des pères Alexandre SCHMEMANN et Jean MEYENDORFF à la fois en tant qu'hommes, que prêtres et théologiens". Plus loin, le patriarche réaffirme son profond respect pour 'la mémoire et l'uvre magistrale" de ces deux théologiens (...), 'ce que ne sauraient en rien changer les remarques critiques émises par certains à l'égard de telles ou telles opinions théologiques personnelles contenues dans leurs uvres". D'une manière plus générale, le patriarche rend un hommage appuyé à tous les théologiens de l'émigration russe dans leur ensemble: 'Ce n'est que dans l'émigration qu'il a été possible d'approfondir la pensée théologique, de manière à répondre aux interrogations d'une société en évolution permanente, et en lui faisant découvrir, dans un langage qui lui soit accessible, l'Évangile et les trésors de la Tradition orthodoxe".
Le patriarche insiste ensuite sur les deux tâches primordiales qui se posent aujourd'hui à l'école théologique russe : d'une part, restaurer la tradition spirituelle de la Russie, détruite au cours des soixante-quinze dernières années et, d'autre part, 'établir un lien"' avec I' 'expérience spirituelle, théologique et intellectuelle"' de l'émigration russe qui a su relever les défis de la modernité, tout en adaptant cet héritage 'de manière créative et critique aux réalités et aux mentalités de la Russie contemporaine, en tenant compte de toute la diversité, souvent pleine de paradoxes, qui la compose". Compte tenu de l'ampleur de la reconstruction à laquelle est confrontée l'Église russe, notamment au niveau des paroisses et des diocèses, et avec en toile de fond 'la fréquente malveillance ou l'exigence impatiente de la part d'observateurs extérieurs", 'il ne faut pas s'attendre, semble-t-il, à voir l'harmonie et l'absence d'erreurs dans le processus de renaissance et de développement" de l'Église en Russie, affirme ALEXIS Il. Pour ce qui est du père Alexandre MEN, le patriarche se contente de rappeler les paroles qu'il avait prononcées, en 1990, après l'assassinat de ce prêtre: 'Dans son audace théologique le père Alexandre a parfois exprimé des opinions que l'on ne peut considérer comme étant sans conteste partagées par la plénitude de l'Église", tout en reconnaissant en lui un 'prédicateur de la Parole de Dieu"' qui sut "(recréer) une authentique vie paroissiale"
En juin dernier, Nikita STRUVE, professeur à l'université de Paris X - Nanterre et directeur de la revue Vestnik RKhD ('Le Messager de l'Action chrétienne russe"), et deux autres membres de la rédaction du Vestnik, le père Ignace KREKCHINE, à l'époque supérieur du monastère de Bobrenevo, près de Kolomna (Russie), et Serge AVERINTSEV, professeur des universités de Moscou et de Vienne, avaient adressé au patriarcat de Moscou une lettre demandant l'intervention du patriarche et du saint-synode pour 'stopper cette campagne qui cherche à étouffer le souffle de l'esprit et qui menace d'emporter les forces créatrices dans l'Église"'. 'L'acte insensé de l'évêque NIKON, qui rappelle les pires moments de l'inquisition, est un cas unique, espérons-le, et nous ne doutons pas qu'il sera condamné par la hiérarchie. Mais, malheureusement, des informations nous parviennent d'autres endroits, attestant que là aussi les grandes réalisations de la théologie orthodoxe du 20e siècle, en particulier dans l'émigration, sont traitées avec suspicion, quant ce n'est pas condamnées", écrivaient-il encore. Cette lettre faisait suite à d'autres réactions d'étonnement et de consternation exprimées en France et aux États-Unis.