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UN QUART DE SIÈCLE D'ŒCUMENISME :

Quelques événements significatifs

par Jan Grootaers,
Professeur Emérite de la K.U.L.

Personne ne s'attend, je pense, à ce qu'on puisse donner ici en quelques pages un panorama complet des grandes mutations que le mouvement œcuménique a subies depuis vingt-cinq ans. On comprendra que je sois forcé à me limiter à un choix de faits et de développements nouveaux que l'on peut estimer importants.

Ainsi nous allons devoir passer sous silence tout le vaste chapitre des dialogues théologiques entre 1970 et 1980 et des nombreux "accords doctrinaux" qui en sont issus. Alors que le Conseil Œcuménique des Églises (C.O.E.) s'est souvent consacré à des dialogues multilatéraux, Rome a privilégié les dialogues bilatéraux au cours des années post-conciliaires. Actuellement les résultats concrets ne sont toujours pas convaincants ni dans un cas, ni dans l'autre.

Quant à l'encadrement chronologique du dernier quart de siècle, nous devons reconnaître qu'en ce moment de crise précipitée il ne nous est pas possible de proposer une véritable division en périodes. 1

Dans ces conditions, l'ordre strictement chronologique ne pourra pas déterminer l'articulation de notre chronique.

Les événements récents qui me paraissent particulièrement significatifs sont nombreux et en pleine évolution. Ceux que nous allons esquisser concernent principalement l'œcuménisme institutionnel, qui se trouve, à vrai dire, en pleine crise. Pour compenser en quelque sorte ce choix unilatéral, nous commencerons par des considérations consacrées à l'œcuménisme de la base, qui, en opposition avec les institutions, se révèle d'une grande vitalité et créativité, tout au moins en ce qui concerne la plupart des pays d'Europe et de l'Amérique du Nord mais aussi dans l’Est Européen.

Quant à l'encadrement chronologique du dernier quart de siècle, nous devons reconnaître qu'en ce moment de crise précipitée il ne nous est pas possible de proposer une véritable division en périodes. Dans ces conditions, l'ordre strictement chronologique ne pourra pas déterminer l'articulation de notre chronique.

En voici le sommaire:

I. Mouvements dynamiques à la base (1989 - 1997).
II. L'hypothèque de l'uniatisme n'est pas levée.
III. Graves problèmes relationnels entre l'Orthodoxie et le C.O.E.
IV. La VIIIe Assemblée du C.O.E. à Harare cherche à sortir de l'impasse. (décembre 1998)
V. Où se trouve l’avenir de l’œcuménisme ?

 

I - Mouvements dynamiques à la base (1989-1997)

Les deux grands Rassemblements œcuméniques pour l'Europe, à Bâle en mai 1989 et à Graz en juin 1997, constituent des événements importants qui, par leur succès et leurs répercussions, ont révélé de manière inattendue la grande vitalité de l'œcuménisme à la base, au niveau des mouvements locaux, des paroisses, des petites communautés et des initiatives de laïcs.

Ayant eu le privilège de participer à ces deux événements, il nous est possible d'en esquisser ici les différences les plus marquantes et les caractéristiques communes.

A. Bâle (1989).

C'est à juste titre que le Rassemblement de Bâle de 1989 a été appelé "une conférence œcuménique pas comme les autres" 2 Organisé par la Conférence des Églises Européennes protestantes et orthodoxes (K.E.K.) et le Conseil des vingt-cinq épiscopats catholiques européens (C.C.E.E.), ce Rassemblement a réuni plus de 600 délégués autour du thème "Paix et Justice".

Les deux instances organisatrices étaient représentées à égalité. L'intitulé du thème est un raccourci du thème plus large développé à la même époque par le C.O.E. en faveur de "Justice, Paix et Sauvegarde de la Création". Le métropolite Alexis (à l'époque Leningrad) et le cardinal Martini (Milan) ont ensemble assumé la coprésidence de l'assemblée de Bâle. Les délégations sont "nationales", comprenant chacune des représentants catholiques, protestants et orthodoxes selon la configuration du pays représenté. 3 Une formule qui s’est révélée innovatrice.

Cette coloration particulière de la composition du Rassemblement de mai 1989 — six mois avant la chute du mur de Berlin — est due en grande partie à la K.E.K. et à sa tradition de se montrer plus ouverte aux Églises "non conformistes" qu'aux Églises "établies". Alors que l'œcuménisme officiel est devenu rapidement l'affaire des hiérarchies et des "professionnels", le travail pour l'Unité semblait s'éloigner de plus en plus des Églises locales. À Bâle, ce qui a commencé à émerger de manière évidente, ce fut un œcuménisme très différent, venu de la base en prise directe avec les grands mouvements sociaux et civiques de l'heure: pacifisme, féminisme, écologie, action en faveur de la justice internationale, droits de l'homme et non-violence. Ces initiatives deviennent les formes contemporaines d'un engagement chrétien et œcuménique.

Une illustration caractéristique du phénomène de la "base" se retrouve dans l'Ecumenical Network for peace in Europe, point de rencontre très remarqué à l'assemblée de Bâle. Ce réseau de communautés de base cherchait à l'époque à cristalliser et à consolider les mouvements de démocratisation dans l'Est européen, en liaison avec les courants d'opinion en Europe occidentale. Dans les deux cas, il s'agit de rétablir une société pluraliste qui repose sur des affiliations ou des "allégeances" indépendantes telles que Églises, mouvements, syndicats.

Bâle comme événement représente de fait une nouvelle configuration œcuménique. Ce Rassemblement pourrait signifier une première tentative pour faire sortir le mouvement œcuménique de ce qui est ressenti comme une impasse, une tentative peut-être provisoire mais réelle tout de même.

Le caractère non doctrinal de ce Rassemblement et ses limites européennes ont permis à Bâle d'échapper à l'autorité jumelée du Conseil pour l'Unité et de la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi (Rome), et aussi de se soustraire aux relations de type bureaucratique du C.O.E. (Genève). Le cortège inaugural à la cathédrale de Bâle était ouvert par quelques prélats orthodoxes et catholiques, tandis que l'absence de représentants officiels de Rome et de Genève constituait un fait frappant.

À Bâle, l'initiative des conférences épiscopales catholiques d'Europe a signifié liberté de mouvement au sommet et écoute de l'œcuménisme à la base. À cet égard le duo Martini-Etchegaray a su déployer une dynamique et une autorité auxquelles les officiels d'autres instances œcuméniques ne nous avaient pas habitués.

Le Conseil des épiscopats européens (côté catholique) et la Conférence des Églises européennes (côtés protestant et orthodoxe), qui parrainaient le Rassemblement de 1989, étaient généralement considérés comme des structures sans grande envergure. La part importante prise par l'Orthodoxie a, par ailleurs, toujours caractérisé la K.E.K.

Si, au prix d'un certain simplisme, on peut appeler l'impasse des organes et structures officiels l'échec des forts, la réussite du Rassemblement de Bâle serait alors la force des faibles.

Ce "miracle de Bâle" ne doit pas cependant occulter les limites de cet événement. Il faut souligner la représentativité relative de certaines délégations, le statut incertain de la déclaration finale et la prépondérance de la K.E.K. sur le C.C.E.E. L'événement du Rassemblement de Bâle et son document conclusif ont mis en branle un processus à long terme: ce dernier texte a adressé un appel pressant aux théologiens, les exhortant à approfondir la théologie de la paix, de la justice et de la Création.

B. Graz (1997).

— Plus près de nous, le Second Rassemblement œcuménique européen, à Graz en juin 1997, fut annoncé comme la suite de la réunion de Bâle. De fait, la comparaison entre les deux Rassemblements est souvent difficile. D'abord parce que le thème de Graz était centré sur la "Réconciliation", mais aussi et d'abord parce que le ciel œcuménique en Europe s'était rapidement obscurci après la chute de l'empire soviétique (1989-1990).

Du côté catholique, le Synode épiscopal pour l'Europe, convoqué hâtivement dans l'euphorie d'avril 1970 et rassemblé à Rome à la fin de 1971, avait révélé de manière saisissante la détérioration des relations œcuméniques entre Rome et l'Europe orthodoxe. En dix-huit mois, ce fut une totale désillusion: crise économique et sociale à l'Est, guerre civile à coloration confessionnelle, crise de l'œcuménisme au niveau des autorités ecclésiastiques, avec une virulence particulière à la veille de Graz.

On se souviendra ici du refus de Constantinople d'abord et de Moscou ensuite d'avoir une rencontre avec Jean-Paul II à l'occasion du rassemblement de juin 1997 4 . Le patriarche Alexis II, qui huit ans auparavant avait coprésidé Bâle en tant que métropolite de Leningrad, avait accepté de prononcer le discours inaugural de Graz, mais aussitôt après il disparut de la scène pour rentrer à Moscou!

Ceci et d'autres attitudes des hiérarques orthodoxes contrastaient vivement avec le nombre, l'engagement et la vitalité des délégations de la base. Ainsi, si la hiérarchie orthodoxe russe se montrait réticente, de très nombreux laïcs orthodoxes étaient venus de Russie. Le groupe roumain, particulièrement nombreux et dynamique, avait à sa tête le métropolite Daniel qui n'avait pas peur d'afficher son engagement.

Du côté catholique, le Rassemblement montrait un déplacement géographique remarquable de l'œcuménisme "populaire": délégation italienne très nombreuse (700 participants), délégations autrichienne (900 participants) et allemande (1000 participants). Pour l'Italie, il s'agissait clairement d'un œcuménisme de terrain, caractérisé par un engagement concret dans le domaine social.

Ainsi, on a pu opposer la morosité des leaders et la vitalité des militants sur le terrain; ou encore les querelles au sommet et l'intérêt populaire inattendu. Cet intérêt manifestait aussi la grande diversité de la périphérie. Celle-ci avait un champ libre d'expression dans une "agora" informelle où l'on pouvait rencontrer des mouvements d'Église déjà connus tout comme un éventail de groupes alternatifs. Dans une conférence de presse conclusive, on a pu dire qu'à Graz il y eut "différentes assemblées, avec des structures différentes, mais traitant d'un même thème".

Cette polarité entre "morosité" des uns et "vitalité" des autres est dans une certaine mesure comparable à la découverte faite à Bâle; mais, comme point d'opposition entre les deux Rassemblements, il reste le caractère de "masse" de Graz avec une participation estimée à une dizaine de milliers de personnes présentes!

Quant à nous, nous serions enclin à distinguer trois "couches géologiques" en ce qui concerne les participants catholiques à Graz: 1) une "couche" appartenant à l'œcuménisme de type classique, avec ses théologiens et ses évêques engagés dans la recherche de l'Unité; 2) un œcuménisme social et "séculier", parfois caractérisé par une génération plus âgée, héritière d'une certaine contestation critique des années 1968-1975; 3) enfin un œcuménisme populaire de type nouveau, qui met l'accent sur la prière et la spiritualité, dénué de tout intérêt pour les questions doctrinales (style Focolari) et dénué de toute critique de la société (style Taizé) 5 .

D'autre part, le flot de participants est-européens constitue une catégorie inclassable: c'est là que s'est trouvé la grande inconnue du second Rassemblement européen. Il semble que de nombreux jeunes Russes pouvaient difficilement s'identifier avec le paternalisme et un certain archaïsme (monastique) de l'Orthodoxie russe actuelle, mais ils étaient tout aussi réfractaires aux influences de l'Europe occidentale, trop éloignées des sensibilités de l'âme russe. N'oublions pas non plus le "raz de marée" des Roumains, dont le nombre s'élevait à 1200 participants, venus en Autriche dans des conditions souvent difficiles.

La répartition de ces "couches géologiques" fut d'une grande diversité selon les différentes nationalités: ainsi la jeune génération d'Italie relevait du troisième type, tandis que la génération plus âgée d'origine française relevait du second type d'œcuménisme.

Si le Rassemblement de Bâle a été marqué par l'entrée en scène des mouvements sociaux à vocation œcuménique, le Rassemblement de Graz a peut-être révélé le triomphe le l'œcuménisme populaire ou, si l'on veut, de l'œcuménisme des non-œcuménistes.

 

II - L'hypothèque de l'uniatisme n'est pas levée

On peut dire sans exagération que la dernière décennie de l'œcuménisme a été dominée par le problème des Églises catholiques orientales unies, dites "Églises uniates", principalement dans l'Est européen. Déjà au Concile Vatican II de nombreux représentants de certaines Églises uniates s'étaient montrés opposés à l'influence que le mouvement œcuménique commençait à exercer sur la majorité des pères conciliaires.

Cependant, depuis la chute du régime communiste et la restauration de la liberté religieuse, le problème passait de la discussion au niveau des idées à des conflits concrets parfois violents sur le terrain.

L'actualité du problème est apparue clairement dans la série de colloques que la communauté monastique de Chevetogne a organisée à ce sujet de 1991 à 1993. À une table ronde tenue à cette occasion (septembre 1991), le père Abbé Michel Van Parijs soulignait combien les sensibilités restaient vives de part et d'autre: pour les Orthodoxes, l'existence même des Uniates touche à vif leur sensibilité ecclésiale, tandis que pour ces derniers il y a une approche enracinée dans les souffrances des persécutions du passé.

Les questions soulevées ont une portée considérable: d'une part il faut reconnaître que le modèle ecclésiologique de l'Uniatisme est dépassé. D'autre part on pressent que la manière dont l'Église latine respectera ou ne respectera pas les Églises unies sera un test pour les "jeunes Églises" en Afrique ou en Inde, qui cherchent à vivre une inculturation, notamment liturgique, tout en sauvegardant l'unité de l'Église. Finalement il s'agira de trouver un équilibre entre communion et pluralité pour l'inculturation des Églises locales en Afrique et en Asie, et cette recherche pourrait permettre d'assumer aussi un meilleur équilibre des Églises orientales grecques-catholiques.

Au cours des années récentes, plusieurs documents officiels ont constitué autant de tentatives en vue de remédier aux tensions entre l'Orthodoxie et l'Église catholique romaine. À la suite de la visite de Jean-Paul II au patriarche œcuménique Dimitrios Ier de Constantinople en 1979, la formation d'une Commission mixte internationale pour le dialogue théologique fit l'objet d'une annonce commune.

Ce fut cette Commission mixte qui, d'abord à Freising (juin 1990) et ensuite à Ariccia (juin 1991), réussit à élaborer un document officiel tendant à sortir la question de l'uniatisme de l'impasse. Sous le titre "L'uniatisme, méthode d'union du passé, et la recherche actuelle de la pleine communion", cette déclaration commune reconnaît que "ce qui a été appelé uniatisme ne peut plus être accepté ni en tant que méthode à suivre, ni en tant que modèle de l'unité recherchée par nos Églises". Le document recommande aussi des mesures pratiques pour surmonter la tension sur le terrain, particulièrement en Ukraine.

Quelques mois plus tard, au Synode des évêques d'octobre 1991 à Rome et en présence de Jean-Paul II, le métropolite Spyridon – délégué du patriarcat œcuménique – lançait un appel pressant à l'Église catholique afin que celle-ci accepte de donner un témoignage commun dans l'esprit du document de Freising-Ariccia. En même temps, le représentant de l'Orthodoxie regrettait que l'œuvre œcuménique se trouvât interrompue du fait de la situation de tension extrême créée entre les Églises uniates et les Églises locales orthodoxes. Une nouvelle tentative d'accord (définitif?) fut entreprise en juin 1993 cette fois à Balamand au Liban.

Le texte de 1990-1991 a pu alors servir de base pour la concertation entre représentants de l'Église catholique et ceux de neuf Églises locales orthodoxes. Le document de Balamand reconnaît que la vision qu'ont les Orthodoxes et les Catholiques les uns des autres repose sur une conception d'Églises-sœurs. "Nous rejetons toute forme de prosélytisme, toute attitude qui serait ou pourrait être perçue comme manque de respect." Il s'agit ici de respecter la liberté des personnes et de l'obligation de suivre la voix de sa conscience.

Quant à cette notion importante d'Églises-sœurs, le père R. Beaupère rappelle par ailleurs :

"Vatican II appelle l'Église orthodoxe une Église-sœur, reconnaissant la nature blessée de l'Église orthodoxe et la valeur salvatrice de ses sacrements. L'Église orthodoxe, de son côté, a toujours reconnu la validité des sacrements de l'Église catholique. La preuve en est le fait que les chrétiens catholiques sont reçus dans l'Église orthodoxe par ce qu'on appelle le ‘troisième ordre’, et non pas par le baptême comme les non-chrétiens et les membres des sectes, ni par la chrismation comme les protestants, mais par la repentance comme les schismatiques. Les membres du clergé catholique romain sont reçus dans le degré hiérarchique auquel ils ont été ordonnés par l'Église catholique romaine. (...)

Ce fait prouve qu'en dépit de sérieuses différences fondamentales sur plusieurs points de doctrine et de spiritualité entre les deux Églises, le catholicisme romain est considéré par la doctrine orthodoxe et par la Tradition comme une communauté chrétienne en schisme avec l'Église orthodoxe mais qui n'en a pas moins préservé la succession apostolique." 6

Le texte de Balamand contient encore des recommandations d'ordre pratique: il condamne ainsi les moyens de pression qui sont exercés de l'extérieur, l'aide donnée pour les fidèles de l'autre Église, etc. En outre, le document propose des concertations d'ordre pastoral entre les évêques des Églises grecques-catholiques (unies à Rome) et ceux de l'Église orthodoxe d'un même territoire.

Dès avant d'avoir reçu l'aval des autorités hiérarchiques des différentes Églises, le document de Balamand fut publié par les instances dirigeantes du Conseil Pontifical pour l'Unité Chrétienne à Rome 7 .

Malgré l'optimisme des experts, que nous avons rencontrés à leur retour de Balamand, il est apparu bientôt que la "réception" de l'accord restait une entreprise lente et difficile. À l'assemblée épiscopale plénière de l'Église orthodoxe russe à Moscou en février 1997, les évêques exigèrent que le document soit d'abord soumis à l'étude par la Commission théologique du Synode et qu'ensuite celui-ci prenne position 8 .

La Commission théologique synodale estime important de clarifier certaines affirmations du document, y compris la signification dogmatique de l'expression Églises-sœurs, qui est utilisée dans le texte de Balamand et qui, à leurs yeux, demande à être élucidée.

Du côté des Églises uniates – notamment en Roumanie –, les critiques furent à l'époque très vives à l'égard de Balamand. Du côté des Grecs-catholiques ukrainiens, les commentaires négatifs ne manquèrent pas, même si les termes en étaient plus nuancés.

Par ailleurs, certains périodiques orthodoxes russes ont entrepris une campagne d'opinion contre l'accord de juin 1993 et – plus grave encore – ont publié des versions tronquées du texte, parfois en les présentant comme authentiques 9

Une des dernières avancées de la réflexion catholique sur l'œcuménisme, et en même temps une des plus autorisées, se trouve évidemment dans la lettre apostolique de Jean-Paul II intitulée Orientale Lumen et publiée le 2 mai 1995.

À l'occasion du centenaire du texte novateur que Léon XIII consacra aux Églises orientales, Orientalium dignitas, en 1894, Jean-Paul II désire introduire les fidèles à une meilleure connaissance des Églises orientales, afin de mieux accueillir le témoignage de leur foi.

Même si la question épineuse de l'Uniatisme n'est pas traitée ici en priorité – ce que certains ont regretté 10 –, on y trouve cependant un développement significatif (au n° 21 du document). Ce paragraphe contient non seulement un appel à la réconciliation, mais constitue une exhortation à la conversion:

"Les Églises (orientales unies) portent dans leur chair une terrible déchirure, car la pleine communion avec les Églises orientales orthodoxes, avec lesquelles elles partagent pourtant le patrimoine de leurs pères, ne peut être encore réalisée. Une conversion constante et commune est indispensable pour qu'elles procèdent avec résolution et élan en vue de la compréhension réciproque."

Mais le document pontifical reconnaît aussi les fautes de l'Église latine à l'égard des Orientaux unis:

"Une conversion est également exigée de la part de l'Église latine, afin qu'elle respecte et revalorise pleinement la dignité des Orientaux et qu'elle accueille avec gratitude les trésors spirituels que portent les Églises orientales catholiques au profit de la communion catholique tout entière." 11

Même si elle ne concerne pas in extenso le problème des Églises grecques-catholiques, on ne peut taire ici l'encyclique Ut Unum sint, que Jean-Paul II a promulguée quelques jours après la lettre Orientale Lumen et qui révèle une volonté de renouveler et de réactiver l'application des décisions du Concile Vatican II et plus particulièrement du décret conciliaire sur l'œcuménisme.

Sur un ton de profonde humilité chrétienne, ce nouveau document est centré sur le dialogue, qui est présent dans chacun des trois chapitres, un dialogue dont les conditions préalables sont la conversion, la réforme de l'Église et la prière. Ainsi donc le dialogue est considéré comme un véritable examen de conscience: "Ce ne sont pas seulement les péchés personnels qui doivent être remis et surmontés, mais aussi les péchés sociaux, pour ainsi dire les ‘structures’ mêmes du péché, qui ont entraîné et peuvent entraîner la division et la confirmer" (§ 34).

La dernière étape est le dialogue de la conversion, qui ne peut pas se dérouler suivant une dimension uniquement horizontale, mais tend aussi et surtout à avoir une dimension verticale qui l'enracine spirituellement et se situe entre chrétiens qui ne sont pas encore en pleine communion (§ 35). 12

En ce qui concerne les Églises orientales catholiques, l'encyclique de mai 1995 souligne le pas important réalisé par la Commission mixte internationale en ce qui concerne la méthode à suivre pour rechercher la pleine communion entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe. Ainsi on a jeté les bases d'une solution positive du problème, fondée sur la doctrine des Églises-sœurs. Il s'agit ici d'une allusion très claire aux accords inscrits dans le texte de Balamand (1993), dont nous avons déjà parlé. 13

Notons aussi que l'encyclique Ut Unum sint fut reçue avec gratitude par le C.O.E. à Genève: dans son rapport au Comité Central de septembre 1995, le Dr. K. Raiser soulignait que le contenu de ce texte pontifical ne pouvait que "susciter notre chaleureuse et sincère approbation". Quelques mois auparavant, le secrétaire général du C.O.E. avait eu un entretien personnel avec Jean-Paul II où furent évoquées les tensions opposant les confessions chrétiennes.

Ce panorama rapide ne serait pas valable s'il ne faisait pas mention des initiatives du C.O.E. (Conseil œcuménique des Églises) à l'égard de la polémique autour de l'uniatisme.

Dès 1991, le Conseil de Genève s'est assez curieusement intéressé de près aux difficultés que rencontrait l'Église catholique dans ses relations avec l'Orthodoxie. Il est vrai qu'à l'époque Genève ne prévoyait pas encore la crise qui aller bientôt frapper le C.O.E. lui-même.

C'est en raison de la dimension œcuménique des événements autour de l'uniatisme que le C.O.E., en coopération avec la Conférence des Églises européennes (K.E.K.) a pris l'initiative d'envoyer sur place des équipes C.O.E. – K.E.K. Il s'agissait alors de rendre visite à des régions de Roumanie, Tchécoslovaquie, Biélorussie et Ukraine, au printemps 1992. On remarquera que les principales Églises orthodoxes de l'Est européen étaient membres actifs de la K.E.K. et participaient encore, mais déjà avec certaines réticences, aux activités du C.O.E.

Les préoccupations des équipes envoyées sur place étaient principalement d'ordre pastoral, d'ordre pratique (dialogue au niveau local) et d'ordre théologique (avec référence au texte de Freising de juin 1990). 14

Le Conseil Pontifical pour l'Unité des Chrétiens à Rome refusa d'envoyer un représentant pour accompagner les équipes en tournée d'inspection sur place. Mgr Duprey, secrétaire de ce Conseil, estimait alors, à juste titre, que le C.O.E. n'était pas le lieu approprié pour traiter de l'Uniatisme. Il estimait aussi que le compte rendu des visites dans les pays concernés était unilatéral. 15

En conclusion des visites sur place, le C.O.E. et la K.E.K. organisèrent un colloque consacré à l'Uniatisme en juillet 1992. Plus tard, lorsque les tensions entre l'Orthodoxie et le Conseil de Genève devinrent plus sensibles et plus explicites, et après le retrait de plusieurs Églises locales orthodoxes du C.O.E., on a pu mieux apercevoir qu'à côté de certaines différences il y avait un parallélisme évident entre les relations tendues Orthodoxie-Rome et les relations tendues Orthodoxie-Genève. Si l'Uniatisme est le principal reproche dans le premier cas, le prosélytisme est le premier des griefs dans le second cas.

 

III - Les problèmes relationnels entre l'Orthodoxie et le Conseil œcuménique des Églises

Il nous paraît certain que, lorsque le C.O.E. de Genève a cru pouvoir s'immiscer dans une certaine mesure dans la crise de l'Uniatisme, il était loin de se douter que la bourrasque suivante allait secouer sa propre navigation, tant il est vrai que le logo du Conseil est depuis toujours un petit navire sur les flots mouvementés de l'histoire.

L'assemblée épiscopale plénière de l'Église orthodoxe russe à Moscou en février 1997 – dont nous avons déjà parlé auparavant – fut probablement le point de cristallisation le plus frappant d'une crise qui couvait depuis de longues années et le signal le plus alarmant d'une phase critique nouvelle.

On ne doit pas oublier ici qu'en Russie dé-soviétisée et dans d'autres pays à tradition orthodoxe une sorte d'aversion viscérale à l'égard des termes "œcuménisme" et "œcuménique" cristallise généralement les courants les plus conservateurs, mais souvent aussi les plus influents des Églises orthodoxes locales. 16

Quoi qu'il en soit, l'approche de la VIIIe Assemblée générale du C.O.E., prévue à Harare (Zimbabwe) en décembre 1998, allait obliger les Orthodoxes à décider dans quelle mesure ils accepteraient de participer à l'événement et à sa préparation.

À l'Assemblée épiscopale russe de février 1997, les évêques ont affirmé que leur perplexité devant l'ordre du jour et les procédures du C.O.E. nécessitait une concertation inter- orthodoxe sur l'ensemble des questions liées à la participation de l'Église orthodoxe aux différents contacts avec le "monde non orthodoxe" et notamment avec le C.O.E. La perplexité suscitée dans le milieu orthodoxe provenait entre autres de la pratique des célébrations interconfessionnelles, de nouvelles tendances dans la théologie et la pratique du Protestantisme occidental – sacerdoce féminin, emploi d'un "langage exclusif" menant à des distorsions du texte de la Bible, révision des normes éthiques du Nouveau Testament qui règlent l'orientation sexuelle.

En attendant un accord inter-orthodoxe, l'Église russe décida de poursuivre temporairement sa participation au mouvement œcuménique.

Il peut être utile de rappeler ici que la crise couvait depuis des décennies avant de se révéler avec la violence actuelle. Après chacune des trois assemblées générales précédentes, des voix orthodoxes se sont fait entendre pour se plaindre de la manière dont l'Église orthodoxe, numériquement minoritaire, avait été négligée ou maltraitée par l'assemblée.

Nous nous souvenons par exemple des critiques orthodoxes qui se manifestèrent au lendemain de la VIe Assemblée (Vancouver, août 1983). Les points de friction étaient notamment: a) l'engagement politique, réclamé par des Églises occidentales et impossible pour des Églises sous le contrôle de l'Union Soviétique ou de la Turquie; b) la procédure de type parlementaire, appartenant à la culture occidentale et inconnue dans la tradition orthodoxe; c) l'ordre du jour, composé sous l'impact prépondérant de préoccupations occidentales et échappant à l'influence des milieux orthodoxes; d) le déséquilibre du personnel administratif au Conseil de Genève, composé de 300 fonctionnaires dont 5 seulement proviennent des Églises membres orthodoxes. Au lendemain de la VII Assemblée du C.O.E. (Canberra, 1991) les critiques de la part de l’Orthodoxie furent encore plus nombreuses et plus explicites.

La difficulté majeure pour les Orthodoxes aux différentes assemblées du C.O.E., mais aussi au Rassemblement de Graz (1997) fut l'usage d'émettre des votes majorité contre minorité pour trancher des controverses d'ordre doctrinal. Pareille procédure était et reste totalement incompatible avec la conception que l'Église orthodoxe se fait de la rectitude de la vérité.

Toujours est-il que le malaise de l'Église orthodoxe à l'égard de sa participation au mouvement œcuménique en général et au C.O.E. en particulier, entrait dans une phase aiguë en 1997. Les critiques à l'égard du mouvement œcuménique se faisaient de plus en plus fréquentes de la part des Orthodoxes de l'Est européen, y compris de la part des responsables d'Églises, et certains allaient jusqu'à mettre en cause la poursuite de leur participation au Conseil de Genève.

En octobre 1997, on apprenait que l'Église orthodoxe de Géorgie, menacée de schisme sur la question de l'œcuménisme, décidait de se retirer du C.O.E. et de la K.E.K. Les manifestations de bonne volonté de la part des dirigeants du C.O.E. ne purent rien y changer.

À la fin de janvier 1998, le Dr. Konrad Raiser, secrétaire général du C.O.E., accompagné d'une délégation, s'est rendu en visite officielle en Russie afin de faire le point sur les relations de l'Église russe avec le C.O.E. Ce fut l'occasion pour le patriarcat de Moscou de souligner les réformes en profondeur que le C.O.E. devait accepter (transformation des structures, changement de la représentativité, réorientation des objectifs), si celui-ci désirait conserver la participation de l'Orthodoxie. Déjà au Comité Central du C.O.E. (septembre 1997) le métropolite Cyrille de Smolensk avait exprimé cette remise en question. Celle-ci avait été à l'origine de la décision du C.O.E. d'envoyer une délégation auprès de l'Église russe. 17

Devant ce développement de la situation, on ne peut s'empêcher de se poser des questions quant au manque de continuité dans l'attitude de certains dirigeants de l'Église russe. Sous le régime communiste, Alexis, alors métropolite de Leningrad, et Cyrille, de Smolensk, n'ont pas cessé d'être des ardents promoteurs du rapprochement avec les Églises d'Occident et avec le C.O.E. Au Rassemblement de Bâle (1989), Alexis exerçait même les fonctions de co-président aux côtés du Cardinal Martini.

Sous la pression des courants conservateurs et d'autres influences, tous deux paraissent aujourd'hui obligés de renier leur passé. Ce phénomène peut-il s'expliquer par le fait que l'ancienne participation au C.O.E. n'était possible que grâce aux faveurs des dirigeants du pouvoir soviétique? Cela peut avoir aujourd'hui comme conséquence qu'aux yeux d'une large opinion russe, "l'œcuménisme" a partie liée avec le régime communiste actuellement déchu.

Quoi qu'il en soit, il faut constater que l'unité de l'Orthodoxie, mise en péril récemment encore par le statut des paroisses orthodoxes en Estonie et par une lutte d'influence en Ukraine entre Moscou et Constantinople, que cette unité s'est trouvée rapidement rétablie et renforcée devant les frictions avec Genève (et aussi avec Rome).

Cependant, une analyse faite en profondeur peut révéler des aspects plus fondamentaux à la crise actuelle. Cette analyse, nous la trouvons sous la plume du père Ion Bria, œcuméniste roumain bien connu, et, dans un passé récent, proche collaborateur du Conseil de Genève. 18

Selon le professeur Bria, la grande lacune qui pèse sur la renaissance des Églises orthodoxes dans l'Est européen provient de l'absence d'une analyse des réalités pastorales et culturelles actuelles sur laquelle la réflexion des Églises pourrait prendre appui. En traitant la période communiste comme une simple parenthèse historique, désormais fermée, les autorités donnent l'impression d'être incapables de juger les développements positifs et négatifs dans le passé récent de leurs Églises: continuités et ruptures, résistance personnelle et erreurs collectives sont passées sous silence. En tendant vers une "restauration" d'un passé lointain, on passe à côté des leçons à tirer de l'expérience vécue au cours du passé récent sous le régime communiste. 19

Le problème n'est pas seulement de retrouver le sens de la mission mais aussi de trouver de nouvelles formes de transmission de l'Évangile dans une société néo-libérale qui se cherche. Il faudrait que les Églises locales soient capables de se réformer en vue de nouvelles possibilités qui se présentent. Les séquelles d'une Église concentrée sur la célébration presque ésotérique de la liturgie, sous le régime communiste, demandent aujourd'hui des correctifs sérieux pour retrouver une pastorale ouverte aux demandes d'une société qui devient pluraliste et sécularisée et une attitude moins éloignée de l'attente des jeunes générations.

 

Les Églises orthodoxes à la recherche d'une position commune

Ainsi que nous l'avons indiqué, les différentes Églises orthodoxes ressentaient de plus en plus le besoin de se concerter afin de définir une attitude commune devant la "menace" du mouvement œcuménique. Le mois de mai 1998 sera marqué par deux initiatives différentes en ce sens. Il convient de bien distinguer ces deux rencontres qui diffèrent quant à leur origine et quant à leurs résultats.

1.Thessalonique(avril-mai 1998)

La consultation inter-orthodoxe de haut niveau (trente délégués de quinze Églises orthodoxes locales), qui se déroula à Thessalonique fin avril et début mai 1998, était organisée sur l'invitation du patriarche œcuménique Bartholomeos (Constantinople) à la suite de la suggestion des Églises de Russie et de Serbie et à cause du retrait de l'Église de Géorgie du C.O.E.

Après avoir reconnu certains avantages de la collaboration avec les confessions non orthodoxes, les délégués regrettaient que certains courants du Protestantisme se reflétaient dans les débats du C.O.E. alors qu'ils étaient entièrement étrangers à la tradition orthodoxe.

À la VIIe Assemblée générale du C.O.E. (Canberra, 1991), les Orthodoxes s’étaient fermement opposés à l'intercommunion, au langage dit inclusif 19 bis , à l'ordination des femmes, aux droits des minorités sexuelles et au syncrétisme religieux. Mais cette opposition venue des représentants de l'Orthodoxie et considérée comme d'origine " minoritaire " n'a eu aucune influence sur les tendances du Conseil de Genève. Après 50 ans de participation au C.O.E., les délégués de Thessalonique n'apercevant aucun progrès dans le dialogue théologique multilatéral, estimaient qu'il fallait conclure à une restructuration fondamentale du Conseil.

On recommandait donc aux délégués orthodoxes de l'Assemblée de Harare – prévue en décembre 1998 – d'y présenter les conclusions de Thessalonique, de refuser toute participation aux prières communes, de ne pas prendre part aux votes. De plus, les Orthodoxes se verront obligés de protester si des minorités sexuelles sont représentées de manière officielle au sein de la prochaine Assemblée. Si le Conseil de Genève ne procédait pas à la restructuration de ses institutions, d'autres Églises orthodoxes se retireraient du C.O.E. Enfin, on proposait d'instituer une Commission théologique mixte et paritaire (Orthodoxie - C.O.E.), afin de discuter après Harare de l’avenir de la participation orthodoxe au mouvement œcuménique à l'avenir. 20

Selon certains participants de Thessalonique, les décisions de la consultation n'étaient pas d'ordre doctrinal mais reflétaient plutôt des préoccupations d'ordre pastoral. Par contre, selon le père Tsetsis, théologien grec et représentant du patriarcat œcuménique auprès du C.O.E. à Genève, "ce que veulent les Orthodoxes, c'est avoir des critères ecclésiologiques plus clairs concernant l'adhésion au C.O.E., car il y a actuellement en son sein, à côté des Églises membres protestantes et orthodoxes traditionnelles, de nouvelles entités qui rejoignent le Conseil sans confesser la foi trinitaire en Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Pour nous, cela est inacceptable." 21

2. Damas (mai 1998)

Une seconde rencontre, mais de type consultatif, s'est déroulée au monastère Saint Ephrem à Damas et a réuni 33 représentants des Églises orthodoxes et des Églises orientales préchalcédoniennes. L'invitation et l'organisation provenaient cette fois du Conseil œcuménique lui-même avec l'appui du patriarcat orthodoxe d'Antioche, dans le but de déterminer les modalités de participation à la prochaine Assemblée du C.O.E. à Harare.

À Damas, il ne s'agit plus d'une initiative des grands sièges orthodoxes, mais d'une collaboration du catholicos Aram Ier de Cilicie, primat de l'Église arménienne au Liban et modérateur du Comité Central du C.O.E., en concertation avec le Dr. K. Raiser, secrétaire général du même Conseil. Certaines Églises (Géorgie, Syrie, Bulgarie, Grèce et Finlande) n'avaient pas envoyé de délégation à la réunion de Damas.

Ainsi que les tensions n'avaient pas manqué de caractériser Thessalonique, à Damas l'opposition fut vive entre les tenants d'une poursuite de l'engagement œcuménique de l'Église orthodoxe (sous conditions) et les partisans d'une révision radicale.

En vue de la sauvegarde de l'unité panorthodoxe, considérée comme prioritaire, les participants s'efforcèrent de rédiger une déclaration commune. Cependant, certaines délégations (dont celle de Moscou) ont exprimé des réserves quant à la version finale de ce texte. Les délégués de l'Église russe à Damas ont rappelé que la crise trouvait son origine dans le manque d'attention que le Conseil, à prédominance protestante, prêtait aux positions orthodoxes considérées comme " minoritaires ". La délégation russe a par ailleurs souligné le caractère contraignant des décisions prises par la consultation de Thessalonique. 22

Quant au résultat principal de Damas au plan concret, ce fut la recommandation de mettre d'urgence sur pied une commission au sein de laquelle Orthodoxes et C.O.E. pourraient discuter des questions les plus brûlantes.

Konrad Raiser fit une tentative de réunir pareille commission à la fin du mois de juin à Genève – c'est-à-dire six mois avant l'Assemblée prévue à Harare. Cependant, cette convocation fut postposée à la demande des Orthodoxes. Plus tard, à Harare même, cette convocation fut mise à longue échéance.

Il nous reste à examiner les points saillants de cette Assemblée générale du C.O.E. à Harare.

 

IV - L'Assemblée du Conseil œcuménique à Harare (décembre 1998)cherche à sortir de l'impasse

Comme le C.O.E. ne tient ses assemblées générales que tous les sept ou huit ans, il s'agit chaque fois d'un événement de grande signification. L'Assemblée convoquée à Harare (Zimbabwe) en décembre 1998 s'est tenue dans des circonstances particulières: d'abord parce que le Conseil fondé à Amsterdam en août 1948 tenait à fêter son cinquantenaire — avec tout ce que pareille célébration peut entraîner de bilan et de prospective — mais en outre l'institution de Genève pouvait craindre qu'à la suite des réserves de l'Église orthodoxe elle entrait dans la crise la plus grave de son histoire, une crise qui finalement pouvait mettre son existence en danger. Qu'allait devenir un Conseil d’Eglises où l'Église catholique romaine n'était jamais entrée et dont le "bloc" orthodoxe allait peut-être sortir ?

Finalement l'Assemblée s'est efforcée de ne pas effaroucher les délégations orthodoxes. On a pu dire qu'à Harare l'implosion majeure a été évitée et qu'il ne s'y est rien passé de bouleversant ni positivement ni négativement. Cependant, les observateurs n'en sont pas tous optimistes pour autant; selon certains, il faut attendre pour voir quelle sera la réception des résultats dans les Églises locales.

Deux œcuménistes catholiques bien connus n'excluent pas des "accidents de parcours" à l'avenir: il s'agit du père Thaddée Barnas (Chevetogne) et du père Alfio Filippi (Bologne). Ce dernier conclut une chronique récente par ces mots en ce qui concerne l'attitude de Moscou: "Il est nécessaire de souligner le fait que les éléments mis en cause sont si nombreux et si graves qu'il suffirait qu'un seul de ceux-ci échappe au contrôle d'une seule Église ou du C.O.E. pour transformer en pire le cadre du christianisme en cette fin de millénaire." 23

Le père Barnas déclarait de son côté: "Si les délégués orthodoxes à Harare, pour la plupart des œcuménistes chevronnés et convaincus, ont largement obtenu gain de cause, la méfiance envers l'œcuménisme qui règne dans plusieurs pays de tradition orthodoxe n'en subsiste pas moins et des accidents de parcours au niveau de la réception de Harare ne sont pas à exclure." 24

Mais avant de parler des résultats relativement positifs, étant donné la conjoncture actuelle, il convient d'évoquer la préparation et l'ordre du jour de Harare.

Une assemblée générale du C.O.E. exige une préparation de nombreuses années. Nous nous limiterons ici à évoquer rapidement l'évolution du principal document préparatoire qui concernait précisément l'avenir même du Conseil de Genève et les réformes qui seraient souhaitables pour cet avenir. Si ce thème est appelé à dominer l'Assemblée de Harare, c'est pour les deux motifs mentionnés: le cinquantenaire d'existence du C.O.E. et les tensions avec le monde de l'Orthodoxie.

Le document préparatoire en question est le projet d'un "texte fondateur" ou Charte qui, en 1997, est le fruit de huit années d'études et de consultations à la suite d'un mandat du Comité Central de 1989. Il s'agissait de parvenir à publier une nouvelle "charte" œcuménique, destinée à être d'abord approuvée par l'Assemblée de Harare (décembre 1998).

La première version du texte rédigé est née d'une consultation en décembre 1995. Ainsi est proposée l'idée d'un forum, nouveau cadre structural élargi, capable d'accueillir des adhésions diverses: communions confessionnelles mondiales, conseils nationaux et régionaux d'Églises, associations œcuméniques, etc. Ce cadre nouveau serait appelé à jouer le rôle d'une "communauté fraternelle" d'Églises et d'organisations.

Cette conception nouvelle d'un forum attira l'attention des Églises membres du C.O.E. et de l'opinion publique. On comprit qu'il pourrait s'agir d'une métamorphose du Conseil, qui tiendrait davantage compte des grandes "familles" confessionnelles non encore membres du C.O.E. Ce cadre élargi permettrait l'adhésion de l'Église catholique romaine et du groupe puissant des Églises pentecôtistes (actuellement de plus en plus en contact suivi avec Rome et avec l'Orthodoxie). Si l'Église orthodoxe dans son ensemble quittait Genève, elle pourrait, elle aussi, entrer dans ce forum, car une autre répartition des structures et une nouvelle pondération des votes pourraient rassurer Moscou et ses Églises-sœurs.

Ce projet de document intitulé "Vers une conception et une vision communes du C.O.E." (mais mieux connu sous le titre anglais "Towards a Common Understanding and Vision of the W.C.C." et son abréviation usuelle C.U.V.) cherche à développer une réflexion nouvelle sur l'œcuménisme, mais aussi sur l'avenir du Conseil, tant en ce qui concerne sa mission et sa vocation que ses structures et son mode de fonctionnement.

Ce que nous voudrions souligner ici, c'est que ce projet considéré comme novateur et audacieux lors de sa première présentation formelle à l'automne 1995, apparaît comme considérablement affaibli à la fin de 1997. Ce que nous considérons comme "une courbe rentrante" concerne précisément le projet d'instaurer de nouvelles structures pour le Conseil lui-même et en coopération avec le Conseil.

Lors de la première proposition de ce projet au Comité Central de septembre 1995, le Dr K. Raiser, secrétaire général du C.O.E., décrit le mouvement œcuménique comme "un réseau polycentrique" — dont le C.O.E. n'est qu'un centre parmi d'autres. Il souligne la nécessité de développer une nouvelle conception du Conseil et en même temps d'offrir un nouveau cadre d'ensemble aux multiples expressions institutionnelles et structurelles de l'œcuménisme en dehors de Genève.

Quoi qu'il en soit, la version du projet C.U.V. telle qu'elle fut publiée dans l'organe du C.O.E., The Ecumenical Review, de janvier 1996, comprenait encore in fine deux chapitres entièrement consacrés à la restructuration des organes et des relations du Conseil. On y trouvait en bonne place un paragraphe détaillant "a forum of Christian Churches and Ecumenical Organizations". 25

Envisageant de nouvelles possibilités pour le C.O.E., ce même chapitre 6 constatait que les assemblées générales étaient devenues moins efficaces et proposait que le Forum d'Églises et d'organisations œcuméniques puisse remplacer avantageusement l'assemblée générale des années passées. Après plusieurs révisions et consultations, un document de travail rédigé à nouveau — basé notamment sur plus de 150 réactions écrites — est soumis au Comité Central de septembre 1997.

L'affaiblissement du V.U.C., auquel nous avons fait allusion, apparaît clairement lorsque le projet V.U.C. est publié en sa version de septembre 1997 26 . On constate alors que les chapitres 5 et 6, qui concernaient les propositions de restructurer le C.O.E. et d'instaurer un forum ont tout simplement disparu.

C'est au catholicos Aram I de Cilicie (du Liban), en tant que modérateur du Comité Central de septembre 1997, qu'il incomba de faire part dans son rapport des objections soulevées contre le projet de texte; un rapport qu'il présenta au Comité "pour examen et décision" selon l'expression usuelle 27 Le catholicos exprima ses craintes de voir le Conseil perdre sa spécificité si la nature et l'étendue de la collaboration du C.O.E. avec des partenaires (organismes, groupes et mouvements) n'étaient pas clairement définies.

Quant à l'origine exacte des réserves exprimées, il ne nous est pas possible de proposer une interprétation cohérente. Il est pour le moins inattendu que le primat de l'Église arménienne au Liban, que l'on peut supposer proche de l'Orthodoxie, ait dû s'opposer à une restructuration qui précisément aurait permis aux Orthodoxes de participer à une nouvelle structure du style d'un forum ouvert aux grandes communion ecclésiales.

Le catholicos Aram se montre ouvert aux reproches faits par l'Église orthodoxe à Genève, mais d'autre part il voudrait que l'Orthodoxie s'engage davantage à transformer le Conseil: "s'ils (les Orthodoxes) s'engagent sérieusement à transformer l'ethos du Conseil, qui est actuellement source de soucis et de tensions, ils doivent remplacer l'aliénation, la résignation ou l'indifférence croissantes qu'ils éprouvent par une approche critique et une participation constructive" (c'est nous qui soulignons, J.G.).

Enfin, il nous paraît étonnant que la "mutilation" du texte de la proposition entre septembre 1995 et septembre 1997, dont nous avons parlé, n'ait pas retenu l'attention des commentateurs ni des chroniqueurs, du moins à notre connaissance. 28

Lorsqu'en avril 1998 nous avons eu l'occasion d'avoir un entretien privé avec le secrétaire général du C.O.E., Konrad Raiser nous donna l'assurance que le Forum proposé n'était nullement destiné à remplacer le C.O.E., mais à être établi à côté du C.O.E. On prévoyait alors une nouvelle série de contacts avec les différentes catégories de partenaires œcuméniques, au sujet desquels il serait fait rapport à l'Assemblée de Harare. K. Raiser prévoyait qu'en tout cas le C.O.E. devait subsister. L'examen du projet de Forum pouvait encore durer plusieurs années.

Alors qu'en 1995 nous avions compris que le Forum était destiné à remplacer le Conseil œcuménique, nous apprenions ainsi que ce nouvel organisme devait fonctionner en parallèle avec le C.O.E. Cela modifiait la perspective de manière fondamentale.

Une troisième version du projet de "Charte", qui résulte d'un Comité Exécutif de février 1998, vise à répartir les matières en plusieurs documents: de cette manière on récupère certaines matières des anciens chapitres 5 et 6 disparus en 1997 (dont la proposition de Forum), tout en diminuant la signification et le poids des matières proposées ainsi en annexe.

À l'ouverture de l'Assemblée de Harare, ces divers documents, soumis à l'appréciation des délégués, sont principalement:

1) la déclaration d'orientation "Vers une conception et une vision communes du Conseil œcuménique des Églises" (version de septembre 1997);

2) des amendements ayant trait à la Constitution du Conseil (Comité exécutif de février 1998);

3) des propositions plus générales d'ordre institutionnel, dont le Forum œcuménique (selon les "Propositions" provenant d'une consultation tenue à Bossey en août 1998).

Ces trois textes étaient destinés à faire l'objet de délibérations à Harare et à être traités par "le Comité des directives I" de l'Assemblée générale. 29

La participation orthodoxe à l'Assemblée

Les résolutions prises par la concertation inter-orthodoxe de Thessalonique (mai 1998), dont nous avons déjà parlé précédemment, vont jouer un rôle significatif à l'Assemblée de Harare.

S'il est vrai qu'en application des résolutions de Thessalonique la participation de l'Église russe à Harare fut minimale — elle envoya trois délégués au lieu de 25, nombre auquel elle avait droit 30 —, il n'en reste pas moins vrai que la quantité et la qualité des autres délégations orthodoxes furent très variées.

Thessalonique fut donc suivi de manière très inégale. Ainsi le patriarcat d'Alexandrie et l'Église d'Éthiopie avaient envoyé d'importantes délégations officielles. Il y avait quatre primats d'Églises orthodoxes et orientales qui étaient présents à l'Assemblée du C.O.E. Même les Églises de Bulgarie et de Géorgie, démissionnaires du C.O.E., avaient des représentants à titre d'"observateurs"! Le boycott des cérémonies de prières ne fut que partiel. Selon le rapport de Peter Bouteneff 31 , l'absence des Orthodoxes aux célébrations et aux procédures de vote passa inaperçue aux yeux de l'Assemblée.

Quoi qu'il en soit, la déclaration de Thessalonique a eu une influence sensible sur la vie et l'atmosphère de Harare, car les critiques de l'Orthodoxie restaient au centre des préoccupations de l'Assemblée et de ses non-dits. D'ailleurs, le texte de Thessalonique fut communiqué officiellement à la tribune de l'Assemblée par l'évêque Niphon, du patriarcat de Roumanie.

Le prêtre russe H. Alfeyev et V. Chaplin se firent les porte-parole des critiques orthodoxes: celles-ci mettaient principalement en cause le "libéralisme" doctrinal protestant qui prédomine dans l'œcuménisme et mène entre autres au féminisme (ordination des femmes) et à l'acceptation de l'homosexualité. 32

 

Résultats de Harare

Reste à savoir quelle fut finalement l'attitude de l'Assemblée du C.O.E. en décembre 1998. De manière générale, les délégués orthodoxes — y compris les Russes — se sont montrés relativement satisfaits du fait que l'Assemblée avait accepté l'initiative principale proposés par la concertation panorthodoxe de Thessalonique, c'est-à-dire l'institution d'une Commission spéciale mixte avec une représentation à parité du C.O.E. et de l'Église orthodoxe en vue de discuter de la réforme et de la restructuration du Conseil de Genève. Cet acquis fut mis en vedette dans le rapport que les délégués orthodoxes allaient présenter à leurs autorités en rentrant chez eux.

Selon Peter Bouteneff, "cette Commission aura le potentiel nécessaire pour faire sensiblement avancer la résolution des problèmes que les Orthodoxes ne cessent de soumettre au Conseil avec de plus en plus d'urgence". La réussite de cette Commission devait en principe permettre à l'Église orthodoxe de rester fidèle à son engagement dans le mouvement œcuménique.

Quant au projet "Vers une conception et une vision communes du C.O.E.", l'Assemblée recommande le rapport de Bossey (août 1998) et encourage le Comité Central du Conseil à poursuivre la procédure de consultation avec les différentes Églises chrétiennes et organisations œcuméniques en vue de l'institution du nouvel organisme, appelé Forum. Cependant, cette approbation est accompagnée de quelques indications plutôt restrictives. C'est ainsi que l'Assemblée insiste sur la nécessité de prêter attention à la nature et au but du rôle spécifique du C.O.E. dans la préparation du Forum: il convient donc de bien distinguer les propositions qui concernent le C.O.E. de celles qui concernent le Forum.

L'Assemblée estime qu'en aucun cas la participation des Églises au Forum ne peut être comparable à l'engagement œcuménique propre au statut de membre du Conseil œcuménique. 33

Il nous paraît que l'insistance mise sur la distinction très nette entre C.O.E. et Forum correspond bien aux perspectives exprimées au Comité Central de septembre 1997. La résolution de l'Assemblée voit l'évolution à venir en termes d'années. On a parlé d'un premier rassemblement dans trois ans 34 . On peut se demander si les événements pourront tolérer cette échéance et si le projet de Forum ne risque pas à la longue de se trouver ensablé.

Mais l'hiver œcuménique n'est pas terminé

Malgré une sincère bonne volonté des Protestants du C.O.E. pour écouter les requêtes des Orthodoxes (souvent exprimées dans des termes maladroits propres à susciter une certaine impatience) et malgré la satisfaction modérée des délégués orthodoxes à la clôture de l'Assemblée du C.O.E. pour avoir obtenu la Commission mixte exigée à Thessalonique, l'éclaircie entre Moscou et Genève fut de courte durée.

Au cours du mois qui a suivi la clôture de Harare, un communiqué du patriarcat de Moscou (Département des Relations extérieures) faisait savoir que le mandat de la participation des délégués de l'Église orthodoxe russe, à peine élus comme membres du nouveau Comité Central du C.O.E., restera conditionné par les résultats des travaux de la Commission mixte instituée à Harare. Le Saint-Synode de l'Église orthodoxe russe, satisfait de sa délégation pour avoir présenté à l'Assemblée du C.O.E. les résolutions de Thessalonique, saluait avec approbation la Commission mixte instituée en vue de développer des structures du C.O.E. qui seront un reflet de l'ecclésiologie orthodoxe. Mais ce n'est qu'après avoir pris en considération les résultats de la future Commission mixte que le Saint-Synode pourra décider si l'Église russe continuera à prendre part au C.O.E.

En conséquence de cette déclaration, les représentants du patriarcat de Moscou à la première réunion du nouveau Comité Central à Harare faisaient savoir qu'ils suspendaient leur participation à ce même Comité Central et qu'ils ne pouvaient plus y être présents qu'en qualité d'observateurs. 35

Selon le commentaire du p. Filippi, il ne s'agit là que du reflet de la situation réelle du malaise orthodoxe actuel: 1) à l'égard des procédures du C.O.E.; 2) pour des motifs d'ordre doctrinal (conception du ministère, ordination des femmes) et d'ordre moral (morale sexuelle); 3) malaise devant une attitude de suffisance "occidentale" de certains fonctionnaires à Genève devant les plaintes répétées de source orthodoxe (est-européenne).

Mais il convient aussi de prendre en compte les tensions sous-jacentes qui traversent le monde orthodoxe de l'intérieur:

 

V - OU SE SITUE L'AVENIR DU MOUVEMENT ŒCUMENIQUE ?

Il nous semble qu'en ce moment l'avenir du mouvement œcuménique se trouve au plan local, ou pour employer un terme plus courant "à la base"

Mais on pourrait se demander si cette notion de "base" (opposée au "sommet" ou aux "structures") n'a pas un relent légèrement néo-marxiste. Quoiqu'il en soit, il y a longtemps que le terme d'œcuménisme à la base fait partie du vocabulaire reçu. 36

Au début de 1992, au lendemain du Synode sur l'Europe et devant les difficultés assez vives entre Moscou et Rome. le Cardinal Godfried Danneels nous disait qu'il ne fallait pas s'attendre à des grandes concertations œcuméniques dans un proche avenir: "L'œcuménisme a beaucoup plus d'avenir a un échelon plus bas" 37 . Et déjà à Bâle (1989) au grand Rassemblement œcuménique Européen, nous avions vu et vécu le fait que le mouvement œcuménique limité aux frontières d'un seul continent était plus libre et plus fécond qu'au niveau de l'Eglise universelle.

Bien sûr il y a plusieurs manières de comprendre le "plan local". Cette notion peut signifier les Conseils nationaux d'Eglises: en 1993 on comptait 49 différents conseils nationaux dont l'Eglise catholique était membre. Elle peut aussi se référer à des Commissions nationales pour les affaires œcuméniques, ou encore à des Commissions diocésaines pour l'œcuménisme. Enfin le "plan local" signifie avant tout des paroisses, des Communautés de base, des groupes de prière , qui ont un engagement œcuménique en profondeur.

C'est en mars 1993 que le Conseil Pontifical pour l'Unité Chrétienne , à Rome, promulguait un nouveau "Directoire pour l'application des normes de l'œcuménisme" 38

Ce document officiel attribue, cette fois, un rôle très important aux initiatives et à l'engagement des fidèles dans le domaine œcuménique au niveau local.

Déjà dans l'introduction du Directoire, le texte cite Jean-Paul II déclarant : "le besoin urgent ressenti quant à une participation plus large de l'ensemble du Peuple de Dieu au mouvement œcuménique (-- ) justifie la mise à jour de ces directives". Le nouveau Directoire veut donc être un instrument au service de toute l'Eglise. Cette préoccupation apparaît clairement lorsqu'il est question:

>1° de la formation œcuménique,
2° du sens de la foi qui vit dans les fidèles ("sensus fidei"),
3° du témoignage commun dans une société sécularisée et
4° plus particulièrement par rapport à la spiritualité.

A cet égard on lit au numéro 25 :"Parce que l'œcuménisme est enraciné profondément dans l'action mystérieuse de la Providence (..) il atteint les profondeurs de la spiritualité chrétienne (..); ceux qui sont à la recherche de la sainteté seront capables de reconnaître les fruits de celle-ci en-dehors des frontières visibles de leur propre Eglise."

Et cela nous permet de faire référence à notre propre Communauté de Saint-Jean-le-Précurseur et à notre propre expérience d'œcuménisme à la base.

Lorsque la paroisse orthodoxe de la Nativité de Saint-Jean-le-Précurseur de Pskov (Russie du Nord) et la communauté catholique de rite Byzantin de Bruxelles (Europe occidentale) ont établi entre elles des relations d'une authentique fraternité chrétienne (avec visites réciproques, entraide spirituelle et matérielle, partage des soucis pastoraux) elles n'ont pas consulté une Commission de théologiens - avec ou sans mandat officiel - pour savoir quelle était la signification exacte de la notion d'Eglises-sœurs. Ces deux communautés de base par leur convivialité foncière ont constitué a partir de leur propre existence chrétienne, de véritables Eglises-sœurs. Peut-on imaginer meilleure démonstration de l'Unité des Chrétiens ? Elle est d'autant plus convaincante qu'elle est tout à fait spontanée et sans grands discours. C'est tout simplement au plan local que nous vivons ensemble au-delà des frontières visibles de nos propres confessions, notre identité d'Eglises-sœurs. 39

Bruxelles le 21 mai 1999 -- Jan GROOTAERS
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