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VOYAGE À LA DÉCOUVERTE DES MONASTÈRES DE MOLDAVIE

La Moldavie est sans doute une des dernières régions d’Europe où l’on trouve encore un mode de vie traditionnel. L’économie est peu développée et repose essentiellement sur l’agriculture. On fauche les champs à la main et on se déplace en charette. Dans la plupart des villages on va chercher l’eau au puits. La Moldavie est un pays de montagnes -on est aux pieds des Carpathes- qui a su conserver un art de vivre et des coutumes d’un âge chez nous révolu. En témoigne une architecture villageoise très typique: les maisons et les églises sont construites en bois, tous les éléments décoratifs sont sculptés avec un raffinement particulier.

La Moldavie est aussi un pays où la foi est demeurée très vivante. On y dénombre pas moins de deux cents monastères, skites ou ermitages. Depuis des temps anciens, ces hauts lieux de spiritualité transmettent de manière fidèle et ininterrompue une tradition monastique très riche. L’hésychasme y a toujours été pratiqué.

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L’âge d’or moldave: les règnes d’Étienne le Grand et de Petru Rares.

La principauté de Moldavie se forme sous l’autorité de voïévodes, devenus plus ou moins légendaires. D’abord fief hongrois, elle réussit à se déclarer indépendante vers la fin du XIVème siècle et commence à s’organiser autour de ses princes (domn) et de ses assemblées d’État (composées des boyards, du clergé et parfois de paysans libres, ainsi que des marchands, avec le développement de la vie urbaine).

Malheureusement, au moment où se dessinent les premières formes de l’État, l’invasion ottomane compromet l’avenir de la principauté moldave. De la fin du XIVème au début du XVIème siècle, son histoire se résume à la résistance courageuse de son prince Étienne le Grand (1457-1504). La Moldavie doit se soumettre aux Turcs à partir du XVIème siècle. Cependant le joug turc est loin d’avoir été aussi pesant pour les pays roumains que pour les divers peuples balkaniques. Il n’y a entraîné ni bouleversements démographiques, ni islamisation forcée. Moyennant paiement du tribut, la principauté conserve sous ses princes nationaux une certaine autonomie et la possibilité de poursuivre librement son développement culturel. De ce point de vue, ces siècles de vassalité ont été pour la Moldavie une période brillante, en particulier les XVIème et XVIIème siècles. Les princes se fixent dans la capitale Iaši (Iassy ou Jassy), s’entourent d’une vie de cour luxueuse et fondent un grand nombre d’églises et de monastères. Ces monuments enrichissent l’art byzantin d’un apport très original, avec leurs salles funéraires, leurs coupoles reposant sur des arcs en encorbellement et l’extraordinaire polychromie de leurs façades.

L'initiative personnelle du prince, l'esthétisme raffiné d'une société de cour ainsi que l'ambiance d'une vie hésychaste dans les monastères moldaves ont engendré cette œuvre d'art unique qu'est la peinture extérieure des églises du nord de la Moldavie. Le plus important donateur de peintures extérieures moldaves est le prince Petru Rares, fils naturel d'Etienne le Grand. Il fut un indéfectible soutien de l'orthodoxie, adversaire acharné de la Réforme dont l'influence se faisait sentir à son époque en Moldavie également. Petru Rares fait figure de prince renaissant par son attitude de protecteur des arts et de seigneur moderne.

Visite des monastères de Bucovine.

En Bucovine(), nous avons visité les quatre monastères peints de VORONET, HUMOR, MOLDOVITA et SUCEVITA. Ces monastères sont de véritables forteresses. À l’exception du dernier qui est plus tardif, ils sont construits et peints à la fin du XVème et au début du XVIème siècle, sous les règnes d’Étienne le grand et de Petru Rares. Nous sommes également allés au célèbre monastère (non peint) de PUTNA qui se trouve sur la frontière ukrainienne; l’accès n’y est pas aisé. Ces édifices font aujourd’hui l’objet de restaurations; ils sont tous protégés par l’UNESCO.

Voilà pour la partie "touristique". Nous sommes ensuite sortis des sentiers battus pour découvrir quelques églises et monastères qui ne sont renseignés que dans les rares ouvrages spécialisés: les églises peintes de SOLCA et ARBORE; cette dernière est incontestablement une des plus belles et des plus intéressantes églises de Bucovine. L’ancienne capitale moldave, SUCEAVA, a malheureusement été reconstruite dans le plus pur style "ceaucescien", elle compte quelques églises anciennes en assez mauvais état ainsi qu’un important complexe monastique (Saint-Georges). À quelques kilomètres de là, il y a un impressionnant monastère fortifié (non peint), le monastère de DRAGOMIRNA, où vécut Païssy Viélitchkovsky avec ses moines. D’autres découvertes mériteraient encore d’être signalées, comme le monastère de SLATINA, un monastère de moniales, perdu au bout du monde; les monastères de moniales impressionnent par leur ordre et leur quiétude; ce sont des endroits où l’on s’attarde avec bonheur.

Principaux traits de la synthèse moldave des XVème et XVIème siècles.

La synthèse moldave de la fin du XVème siècle, dont les éléments continuent à se développer au XVIème siècle, constitue sans conteste la création la plus originale de l’art roumain du Moyen Âge. Elle présente, dans une forte et harmonieuse unité, un fonds de tradition byzantino-balkanique, auquel sont organiquement intégrés de nombreux éléments occidentaux, provenant du gothique transylvain et polonais, probablement par l’intermédiaire des monuments catholiques élevés dans les villes de la Moldavie. L’ensemble a été repensé dans une vision artistique originale, qui porte souvent l’empreinte, dans l’équilibre des formes ou dans la vivacité chaude du coloris, de l’esthétique du paysan roumain. Au-delà des expressions propres à chaque domaine de l’art, une unité de style anime l’ensemble de la création artistique entre l’architecture d’un édifice, sa décoration murale et sa parure d’objets d’art.

Le prototype architectural de ces églises est élaboré en Moldavie au long du XVe siècle, dans une ambiance culturelle marquée par l'influence de Byzance et de la Serbie, lieux d'origine du plan triconque qu'on a adopté ici. Ce plan permet les innovations les plus caractéristiques. Il s’agit tout d’abord de la tour élancée élevée sur la nef, à l’aide de deux groupes superposés de pendentifs. La coiffe pointue de la tour et les toits hauts qui couvrent séparément chaque partie de l’église accentuent encore la tendance à la verticalité de l’édifice. La silhouette générale des édifices, fortement individualisée par les lignes brisées ascendantes des toits aux articulations multiples, contribue de manière décisive à la définition de l'aspect spécifique et original de l’architecture moldave.

La distribution intérieure comporte souvent l’adjonction en enfilade de nouvelles pièces: l’exonarthex et une chambre réservée aux tombeaux, entre la nef et le narthex. Cette chambre est superposée, dans certains cas, d'une pièce basse, recoin secret ou simple sacristie. Des encadrements de portes et de fenêtres en pierre, de facture gothique, complètent la décoration

Le répertoire iconographique de la peinture murale, d’origine byzantino-balkanique, est constitué pour l’essentiel dès la fin du XVe siècle. Au-delà de la variété de tempérament et de capacité des artistes, cette peinture se distingue par sa parfaite adaptation à l’architecture. La distribution sobre des personnages, la noblesse des attitudes, la fermeté du dessin et la qualité de la couleur confèrent à cette peinture une certaine monumentalité. Au XVIe siècle, un goût du pittoresque, du brillant, du gracieux se fait jour, puis, vers la fin du même siècle se développe une tendance vers le narratif, stimulée par la diffusion de l’iconographie du Ménologe. La grande originalité de l’art moldave du XVIe siècle consiste en l’extension de la peinture aux façades qu’elle recouvre – fait sans précédent – sur toute leur surface.

Les thèmes principaux de la peinture extérieure occupent de très vastes surfaces. Ce sont : la "prière de tous les saints" ou la "grande prière", hypostase de l' Église triomphante à laquelle participe la procession des chérubins, séraphins, prophètes, saints pères de l'Église, martyrs et ermites; l'"hymne acathiste" illustré en vingt-quatre strophes avec l'ajout du "siège de Constantinople", évocation de l'intervention salutaire de la Vierge en 626 au temps du siège des Perses(), ainsi que du buisson ardent, symbole de la virginité de Marie. Sans exception, l'arbre de Jessé est joint aux strophes de l'acathiste qui proclament l'Annonciation, tout comme dans l'ordre liturgique l'invocation des ancêtres du Christ précède la fête de sa nativité. Les sages de l'Antiquité, peints au nombre de dix, douze ou même quatorze illustrent le témoignage profane du mystère de l'Incarnation. Enfin, tel un corollaire des principaux grands thèmes, le Jugement Dernier est, en Moldavie, d'un intérêt tout-à-fait spécial, par son traitement iconographique particulier. À Voronet, la composition bénéficie de l'entière façade ouest de l'église qui, délibérément, est compacte, sans vides des fenêtres nécessaires pour éclairer l'exonarthex.

Tous les spécialistes ayant commenté les peintures extérieurs moldaves sont d'accord pour affirmer qu'il y a des thèmes dont les rédactions ne se trouvent qu'ici; ils repris en maints ensembles muraux. C'est le cas de la Genèse, la création, la chute d'Adam, l'expulsion du Paradis et, notamment, le contrat d'Adam, représentation unique de son pacte avec le démon, aux termes duquel Adam reconnaît et signe sur un chirographe la damnation de sa postérité(). Un autre thème, rédigé comme nulle part ailleurs, est celui des "étapes célestes" ou des "douanes célestes". Visible jusqu'à ce jour dans tous les ensembles demeurés entiers, ce thème est généralement illustré dans le voisinage du Jugement Dernier auquel il s'apparente du point de vue symbolique. Quant au cycle de la vie de saint Jean le Nouveau, il constitue un thème national répondant à la profonde dévotion vouée à ce saint depuis le XVème siècle lorsque ses reliques ont été apportées à Suceava. Depuis, Jean le Nouveau est le patron de la Moldavie.

Tant les qualités de composition de chaque scène que l’agencement de l’ensemble, le sens décoratif qui met en mouvement tout ce monde, les tons francs, joyeux ou suaves des couleurs font de ces vastes ensembles muraux une oeuvre absolument unique.

Visite des monastères de la région de NEAMT

Nous nous sommes ensuite déplacés d’une centaine de kilomètres vers le Sud, au cœur de la Moldavie, dans la région de NEAMT. Situé au milieu d’une forêt de chênes, NEAMT est le plus grand monastère d’hommes en Roumanie. Le monastère a apporté une contribution sans égal au développement de la culture et de l’art médiéval roumain, notamment par son école de calligraphie et de miniatures. Il abrite en outre la plus grande bibliothèque monacale de Roumanie et la première imprimerie du pays. Il possède un séminaire, où plus de cinq cents jeunes hommes se préparent actuellement au sacerdoce (ce chiffre illustre à suffisance la vitalité de l’Église roumaine...). C’est en ce lieu que Païssy Viélitchkovsky vécut la plus grande partie de sa vie monastique. Il y est enterré. Avec ses moines, il entreprit un vaste travail de traduction des écrits hésychastes et suscita ainsi le renouveau de cette tradition dans l’ensemble du monde orthodoxe. Non loin de NEAMT, nous avons visité les villages monastiques d’AGAPIA (din Deal et din Valle) et de VARATEC, ainsi que les trois skites de SECU, SIHASTRIA et SIHLA.

Les deux complexes monastiques d’AGAPIA et de VARATEC, groupant plus de huit cents moniales, fonctionnent selon le mode idéorythmique. Les sœurs sont groupées par maisonnées de cinq ou six habitantes autour d’une "ancienne" et vivent selon leur propre rythme. Ces complexes sont de véritables petits villages, s’étendant autour des bâtiments conventuels proprement dits (église, économat, chambres des novices entourés d’une enceinte massive...).

La skite de SIHLA, construite à proximité de la grotte de sainte Théodora fut incontestablement le moment fort du voyage. Situé dans un endroit sauvage et isolé, en haut d’une montagne, la skite est actuellement restaurée par de véritables "moines-bâtisseurs". La grotte où vécut la sainte ermite est un lieu très impressionnant.

Le retour vers Bucarest s’est déroulé en plusieurs jours, en traversant les Carpathes par les gorges vertigineuses de BICAZ, le pays des Sicules() et ensuite le pays des Saxons(). C’est là que nous avons visité le monastère de SIMBATA DE SUS, célèbre pour ses ateliers d’icônes sur verre. Un moine iconographe nous a aimablement invités dans son atelier.

Voyager en Roumanie reste encore aujourd’hui une aventure... Les routes sont mauvaises et dangereuses; il n’est pas toujours aisé de trouver un logement; mais partout l’on vous accueille avec chaleur et, quoiqu’il vous arrive, vous constaterez que les Roumains ont un sens inné de la débrouillardise... L’Opération Villages roumains a développé depuis quelques années un projet de tourisme rural et mis sur pied un réseau de logements chez l’habitant, qui offrent une garantie de qualité à des prix très raisonnables.

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